• Discours de clôture de Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et Président de la Conférence des évêques de France, le 8 novembre 2015 à Lourdes.

    « Beaucoup demandent : «  Qui nous fera voir le bonheur ? » Ainsi s’exprime le psaume quatre que nous récitons régulièrement. Le Psalmiste répond : « Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage ! »

    Tout au long de cette semaine, j’ai senti que nous portions très fort cette question de nos contemporains : « Qui nous fera voir le bonheur ? »

    En écho avec le synode des évêques réuni à Rome autour du Pape François, nous avons évoqué ce chemin de bonheur cherché par toute famille. Nous avons rendu grâce pour tous ceux qui le trouvent en se laissant illuminer par le visage du Seigneur, par sa présence, sa parole, sa fidélité, ses appels. Nous avons nommé les obstacles que trop de familles rencontrent dans leur vie pour le trouver : celui des guerres actuelles, des grandes pauvretés qui jettent sur les routes trop de familles ; celui des séparations qui sont toujours porteuses de souffrances et de graves conséquences pour les enfants; celui de ceux qui connaissent l’épreuve de la stérilité, du handicap, du veuvage précoce, d’une affectivité blessée ; celui de ceux qui, remariés, cherchent à trouver leur place dans leur environnement comme dans l’Eglise ; celui des familles monoparentales ; celui de tous ceux qui se tournent et se retournent en disant : « Qui nous fera voir le bonheur ? ». Notre désir à nous Evêques de rejoindre chacun sur sa route et de pouvoir avec la communauté chrétienne le conduire à la reconnaissance du visage du Seigneur, miséricordieux, fidèle, proche par sa Parole, s’est amplifié et fortifié. Nous souhaitons que les paroisses et les pastorales familiales ne cessent d’approfondir leur présence et leurs propositions auprès des familles aux divers âges de la vie, qu’elles apportent soutien et réconfort et qu’elles demeurent vigilantes sur les politiques familiales de notre pays. C’est un chantier missionnaire essentiel.

    Et que dire du long temps de réflexion et de partage sur la situation tragique de tant de migrants ou de réfugiés qui essaient de franchir la Méditerranée pour venir en Europe ? Le Cardinal Montenegro, archevêque d’Agrigente nous a parlé de l’expérience de l’accueil si enrichissante et si éprouvante qui se vit sur l’île de Lampedusa et ailleurs depuis des décennies. Il l’a comparée à une forme de long martyre où le croyant est appelé à témoigner de sa foi envers et contre tout par un accueil simple, inconditionnel et inlassable et cela malgré l’expérience d’une réelle impuissance qui peut conduire au découragement, à la lassitude et à l’abandon. Le pire pour eux serait d’y perdre ainsi leur âme en devenant durs et inhospitaliers. Il nous a parlé de ces moments de bonheur vécus dans ces gestes humains dont les pauvres ont le secret quand ils accueillent des pauvres : un sourire, de la nourriture partagée, un vêtement lavé, une douche proposée, une maison ouverte. Autour de Calais la même expérience se vit. La présence persévérante et fraternelle de tant et tant de bénévoles est un rayon de bonheur dans ce qui est souvent qualifié d’enfer.

    « Qui nous fera voir le bonheur ? » Sûrement pas les peurs, les rejets, les murs dressés, les replis sur soi. Nous invitons les catholiques et tous les hommes de bonne volonté à choisir l’accueil, la fraternité et la confiance. Nous les invitons à s’engager dans la recherche de projets significatifs et adaptés aux situations. Nous les invitons à faire entendre leur voix auprès des responsables politiques pour que des décisions courageuses, humaines et solidaires soient prises dans notre pays et en Europe. Nous les invitons encore à leur rappeler le nécessaire soutien au développement des pays les plus pauvres comme à la recherche de solutions justes et durables aux nombreux conflits.

    A la suite des forums de novembre 2014 sur la mission en rural vécus au sein de notre conférence, nous continuons le partage de nos initiatives, de nos questions,  sur la présence missionnaire de l’Eglise dans les espaces ruraux et hyper-ruraux. Face à ces nouveaux défis, nous voulons poursuivre un travail de réflexion et de discernement, avec des actions communes que ce soit en inter-diocèses, en province et en conférence épiscopale. L’Eglise est attendue pour susciter des espaces de paroles et de vie spirituelle, avec une attention particulière pour les agriculteurs et tous les acteurs du rural en souffrance.

    Nous le voyons, en ces domaines de la vie comme dans bien d’autres, la réponse à la question : « qui nous fera voir le bonheur ? » se laisse percevoir lorsque l’homme est mis au centre des choix individuels et collectifs. Le souci et la préoccupation du bonheur des autres et des plus pauvres en particulier sont le moteur de notre propre bonheur. Nous ne voyons que trop ce qui arrive lorsqu’on ne s’occupe que de son propre intérêt. Que les pays riches aient laissé se construire de tels écarts dans le monde, qu’ils soient intervenus comme ils l’ont fait dans des régions du monde soumises aujourd’hui à l’anarchie et à la violence a contribué à ce qu’augmente la clameur des peuples et celle des pauvres.

    Nous voulons redire où se trouve le chemin du bonheur : Il se trouve dans le respect de la dignité inviolable de l’homme créé à l’image de Dieu ; il se trouve dans le choix de sociétés où le souci du petit et du pauvre prime sur les intérêts des plus fortunés. Il est des inégalités qui font honte à l’humanité. Il se trouve, ce chemin du bonheur, dans le choix du dialogue et du respect entre personnes et peuples aux convictions et aux religions diverses. Il se trouve dans la logique de l’amitié et de l’estime entre les peuples. Il se trouve dans le respect de la création, dans le souci de la maison commune, dans le choix de modes de vie respectueux des besoins d’aujourd’hui et de ceux de demain. Il se trouve encore et surtout dans l’ouverture spirituelle à la connaissance et à l’amour de Dieu qui nous rend libres et nous tient en confiance.

    Demain, nous serons à nouveau sur le terrain de nos diocèses et nous allons retrouver l’agitation politicienne à l’approche des élections régionales. Nous portons de l’estime à l’engagement politique quand il est vécu dans la recherche du bien commun. Avons-nous autre chose à dire à nos fidèles que d’aller voter ? Sûrement. Nous voulons ajouter : pensez au sort des petits et des humbles ; pensez à l’accueil, pensez au respect de la vie et de la dignité de la personne humaine ; pensez aux politiques sociales et familiales, à l’éducation des jeunes ; pensez au dialogue entre les religions et avec tous les courants de pensée. N’oubliez pas le bien profond de votre région ni son développement. Fuyez la violence sous toutes ses formes, la violence verbale n’étant pas la moindre. Pensez encore à la paix chez nous, en Europe ; regardez de près les programmes. Développez un langage d’ouverture et d’engagement !

    Dans un mois nous entrerons dans le jubilé de la miséricorde, voulu par le Pape François. Ce qui est le plus grand en Dieu, c’est sa miséricorde ! Il s’est révélé ainsi en Christ. Le Pape François commence sa lettre « Misericordiae Vultus » avec ces mots : « Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père ». Dans ce monde de violence aux formes multiples selon les temps et les lieux, le Père de toute miséricorde, le créateur s’est fait sauveur en son fils bien aimé, Jésus Christ. Il n’a ajouté aucune violence. Au contraire il est venu pour la vaincre par une puissance d’amour infinie à laquelle nos égoïsmes, nos inconsciences et nos peurs ont du mal à croire. La violence, il l’a subie jusqu’au sang ; la haine, il en a souffert au plus profond de son cœur ; la mort injuste il l’a vaincue par la résurrection bienheureuse, source de toute espérance. Oui, nous voulons redire qu’il est là le chemin du bonheur, dans la suite du Christ, dans l’amour de ses frères, dans la confiance, dans l’engagement auprès de ceux qui souffrent violence. Sa vie extérieure a été résumée en peu de mots : « Il est passé en faisant le bien ». Avoir le souci des autres, celui du bien commun, celui du vivre ensemble, celui d’une écologie intégrale, celui d’une humilité confiante, celui de la bonté et de la fraternité, voilà bien le chemin du bonheur ! Oui, Seigneur : «  Que sur nous s’illumine ton visage et nous serons sauvés ! » Et en plagiant ce que disaient Pierre et Jean au mendiant de la Belle porte : l’argent et l’or ne peuvent apporter le bonheur, et ce n’est pas cela que nous voulons donner, mais Jésus-Christ que nous voulons annoncer. Choisissez-le, marchez à sa suite et à sa manière. Durant cette assemblée, nous avons ainsi entendu le témoignage des responsables de la vie religieuse nous parler du bonheur qu’il y a à vivre sa vie en amitié avec le Christ. Nous avons aussi regardé la générosité des nombreux prêtres venant de l’étranger pour servir dans nos Eglises diocésaines. Nous voulons redire un mot de profonde estime et affection à tous les prêtres, les diacres et les consacrés de nos diocèses.

    La rencontre avec le Secours catholique à la Cité St-Pierre nous a permis de rendre grâce à l’occasion des 70 ans de la fondation de cette belle institution par l’Abbé Rhodain et les 60 ans d’existence de la cité St-Pierre. Chaque année le rapport publié à cette époque sur la pauvreté dans notre pays et ses formes nouvelles, fait autorité et retient l’attention des élus et des pouvoirs publics. Nous sommes fiers de voir ainsi de si nombreux bénévoles engagés au côté des salariés pour accueillir et accompagner plus d’un million et demi de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. C’est aussi une expérience de fraternité unique et inimaginable avant de l’avoir vécue. C’est là encore que se trouve le chemin du bonheur : dans ces solidarités, ces rencontres et ces engagements pour plus de justice.

    Le drame vécu depuis trop longtemps par les populations du Moyen-Orient, des chrétiens particulièrement, nous affecte plus spécialement depuis plus d’un an. L’Irak en a été la première victime. La vallée de Ninive a été dévastée et beaucoup de chrétiens ont fui vers Erbil et le Kurdistan Irakien. Nos liens réguliers avec les patriarches et les évêques, des visites de plusieurs d’entre nous sur place nous ont bien fait comprendre que le véritable enjeu était de contribuer à ce que les chrétiens puissent envisager de demeurer sur leur terre ancestrale. Un projet nous a été proposé : celui d’aider de jeunes étudiants chrétiens vivant dans des camps au Kurdistan irakien à poursuivre leurs études supérieures à Kirkouk dans leur propre langue, l’arabe. Il s’agit d’un projet qui prendra en charge une promotion de 380 étudiants pour un budget de 1 140 000 euros. Nous croyons à la générosité des fidèles et des Français pour tenir notre engagement accompagné par l’Oeuvre d’Orient en lien direct avec l’Evêque de Kirkouk et Souleymanieh, Mgr Youssif Thomas Mirkis, Archevêque chaldéen, qui nous a soumis ce beau projet. Nous le faisons nôtre et nous invitons l’ensemble des gens de bonne volonté à le faire leur. Il est porteur de vie et d’avenir pour les chrétiens d’Orient.

    Notre semaine de travail nous a réconfortés. Il n’est pas possible de tout reprendre. Nous avons hâte de rejoindre nos diocèses pour y retrouver les fidèles de nos communautés, pour entrer dans ce jubilé de la miséricorde et pour nous préparer encore à vivre les futures Journées Mondiales de la Jeunesse à Cracovie. Nous y poursuivrons notre réflexion sur les sources du bonheur, celles que Jésus nous a données dans les Béatitudes. Et dans ce monde souvent dur, qui ne fait plus place à celui qui a chuté ou est tombé, nous rendrons grâce pour la miséricorde de Dieu, celle qu’il a déployée de toujours à toujours en faveur de l’humanité et tout spécialement en Jésus Christ qui a donné sa vie pour la multitude. Avec le pape François nous avancerons sur le chemin du bonheur en accueillant et en vivant la miséricorde sur une terre marquée voici 70 ans par l’horreur de la Shoah, puis par le joug communiste. C’est là que sera proclamé : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ». Puisse notre monde entrer dans une ère de miséricorde, de tendresse, de fraternité, d’humanité.

    Source


    votre commentaire
  • Envie ce lundi matin de vous partager cette chanson du groupe folk normand 'Mes souliers sont rouges' :

    Et aussi ces quelques mots pour celles et ceux qui ont envie d'en finir ou de baisser les bras ...

    Quand plus rien ne va qu'tout ne va pas ...Oui il est des moments où on est tellement enlisé dans la dépression que l'on ne voit plus comment la vie mous rejoindra, comment nous pourrons de nouveau avancer. .. Le plus petit effort pour tenir ne serait-ce que debout dans ce qui nous semble être un vaste champ de bataille (perdue) nous semble inaccessible. Et pourtant. .. Après du repos, un jour il est possible de faire un petit pas, puis un autre en s'accrochant aux petits bonheurs. .. On reste blessé, fêlé mais tellement plus humain. Et plus fort aussi car on a appris à mieux se connaître, à vivre pour soi et non pour les autres (mari, femme, enfants. ..).

    Cette (re)construction est longue. .. Il faut s'entourer de professionnels qui aident à comprendre puis à se "re-programmer" et d'amis qui savent juste dire "on est là", "tu es une si belle personne, ne la/les laisse pas te détruire" ...

    Allez, en route pour une nouvelle semaine.

    Marie-Aude


    votre commentaire
  • Que fais-tu de ta vie ?

    Source


    votre commentaire
  • Le quotidien La Croix propose en ligne le téléchargement gratuit du rapport final du second synode sur la famille (transmis hier par courriel aux membres du groupe).

    Si vous souhaitez ne regarder que ce qui concerne la situation des personnes en situation de séparation, divorce, recomposition ... rendez-vous aux points 55 (la miséricorde) et au chapitre 3 intitulé Famille et accompagnement pastoral (le "s" à famille eut été opportun mais bon ...).

    Marie-Aude


    votre commentaire
  • J'avais adressé à Marie-Odile suite aux échanges lors de la réunion de lundi dernier ce lien Ouest France ...

    Philippe nous a livré l'intégralité du témoignage d'une femme au synode : un témoignage intéressant qui montre qu'il y a encore du chemin à faire ... et pas uniquement pour les hommes car elle fait aussi état d'un plafond de verre et du fait que les femmes présentes acceptait leur relative infériorité ...

    "Et Dieu bouda la femme". 

    Lucetta Scaraffia, responsable du supplément « Femmes » de L’Osservatore romano, était l’une des 32 femmes invitées à participer au synode des évêques sur la famille, à Rome, du 4 au 25 octobre. Pour « Le Monde », elle relate de façon piquante ce travail parmi les hommes d’Eglise. Voici son récit. 

    Combien de fois me suis-je répété, au cours de ces trois semaines de synode, pour réfréner l’impatience rebelle qui m’assaillait : au bout du compte, ils m’ont invitée – et ils m’ont même laissée parler. Moi, une « féministe historique », pas franchement diplomate ni patiente. Ils l’ont sûrement remarqué.

    Pour une femme comme moi, qui a vécu Mai 68 et le féminisme, qui a enseigné dans une université d’Etat et participé à des comités et à des groupes de travail en tous genres, cette expérience-là fut vraiment inédite. Parce que, même s’il m’est arrivé, quand j’étais jeune et que les femmes étaient encore rares dans certains milieux culturels et académiques, de me retrouver la seule au milieu d’un groupe d’hommes, ces hommes-là au moins s’y connaissaient un peu : ils étaient mariés ou avaient des filles.

    Ce qui m’a le plus frappée chez ces cardinaux, ces évêques et ces prêtres, était leur parfaite ignorance de la gent féminine, leur peu de savoir-faire à l’égard de ces femmes tenues pour inférieures, comme les sœurs, qui généralement leur servaient de domestiques. Pas tous évidemment – j’avais noué, avant même le synode, des liens d’amitié avec certains d’entre eux –, mais pour l’immense majorité, l’embarras éprouvé en présence d’une femme comme moi était palpable, surtout au début. En tout cas, aucun signe de cette galanterie habituelle que l’on rencontre encore, notamment chez les hommes d’un certain âge – dont ils font partie. Avec la plus grande désinvolture, ils me barraient la route dans les escaliers et me passaient allègrement devant au buffet durant les pauses-café. Jusqu’à ce qu’un serveur, ayant pitié de moi, me demande ce que je voulais boire…

    Puis, quand nous avons commencé à mieux nous connaître, en particulier durant les sessions de travail en petits groupes, les autres ecclésiastiques m’ont peu à peu témoigné de la sympathie. A leur manière, bien sûr : j’étais considérée comme une mascotte, toujours traitée avec paternalisme, même s’il leur arrivait d’avoir mon âge, voire d’être plus jeunes que moi.

    Depuis mon arrivée, tout semblait avoir été conçu pour que je me sente comme une étrangère : malgré mes badges d’accréditation, j’étais soumise à des contrôles inflexibles. On tenta même de réquisitionner ma tablette et mon téléphone portable. A chaque fois, on me prenait pour une autre : pour une journaliste dans le meilleur des cas ou pour une femme de ménage. Puis ils ont appris à me connaître, et à me traiter avec respect et amabilité. Quand, après trois ou quatre jours, les gardes suisses en uniforme chargés de surveiller l’entrée se sont mis au garde-à-vous devant moi, j’étais au septième ciel !

    Ma présence, pourtant, n’était que tolérée : je ne « pointais » pas avant chaque séance de travail comme les pères synodaux, je n’avais pas le droit d’intervenir, sinon à la fin, comme on le concédait aux auditeurs, et il ne m’était pas non plus permis de voter. Même dans les séances en petits groupes. Non seulement je n’avais pas le droit de voter, mais il m’était interdit de proposer des modifications au texte soumis au débat. En théorie, je n’aurais même pas dû parler. Mais de temps à autre, on daignait me demander mon avis ; il m’a fallu du courage, mais j’ai commencé à lever la main et à me faire entendre. A la dernière réunion, j’ai même réussi à suggérer des modifications ! Bref, tout contribuait à ce que je me sente inexistante.

    Chacune de mes interventions tombait à plat. Un jour, par exemple, j’ai voulu rappeler qu’au dix-neuvième chapitre de l’Evangile selon saint Matthieu, Jésus parlait de « répudiation » et non pas de « divorce » et que, dans le contexte historique qui était le sien, cela signifiait « répudiation de la femme par le mari ». Aussi l’indissolubilité que défendait Jésus n’est-elle pas un dogme abstrait, mais une protection accordée aux plus faibles de la famille : les femmes. Mais ils ont continué à expliquer que Jésus était contre le divorce. J’aurais tout aussi bien pu ne rien dire ; je parlais dans le vide. 

    « Si elles entrent, on est foutus »

    J’ai bien essayé de partager mes impressions avec les quelques autres femmes présentes au synode, mais elles me regardaient toujours avec étonnement : pour elles, ce traitement était tout à fait normal. La plupart n’étaient là qu’en tant que membre d’un couple – au moment des interventions de clôture, j’ai entendu d’improbables récits de mariages narrés de concert avec le mari. La seule à échapper à ce climat de démission était une jeune sœur combative qui avait découvert, au cours d’un échange avec le pape, que les quatre lettres que son association lui avait envoyées – pour réclamer plus d’espace pour les religieuses – n’étaient jamais parvenues au pontife. Je compris que les sœurs, étant nombreuses, bien plus nombreuses que les religieux, faisaient peur : si elles entrent, me disait-on, nous serons écrasés. Il valait donc mieux faire comme si elles n’existaient pas…

    Sous mes yeux curieux et ébahis, l’Eglise mondiale a pris corps et identité. C’est certain, il y a des camps distincts, entre ceux qui veulent changer les choses et ceux qui veulent simplement défendre ce qui est. Et l’opposition est très nette. Entre les deux, une sorte de marais, où l’on s’aligne, où l’on dit des choses vagues et où l’on attend de voir comment va évoluer le débat. Le camp des conservateurs assure aux pauvres fidèles que suivre les normes n’est pas un fardeau inhumain parce que Dieu nous aide par sa grâce. Ils ont un langage coloré pour parler des joies du mariage chrétien, du « chant nuptial », de « l’Eglise domestique », de « l’Evangile de la famille » – en somme, d’une famille parfaite qui n’existe pas, mais dont les couples invités devaient témoigner en racontant leur histoire. Peut-être qu’ils y croient. En tout cas, je ne voudrais pas être à leur place.

    Il y a plus de nuances dans le camp des progressistes. Les plus audacieux vont jusqu’à parler de femmes et de violence conjugale. On les distingue facilement parce qu’ils invoquent sans cesse la miséricorde. Naturellement, les familles parfaites n’ont pas besoin de miséricorde. « Miséricorde » a été le mot-clé du synode : dans les groupes de travail, les uns luttent pour le supprimer des textes, les autres le défendent avec vigueur et cherchent au contraire à le multiplier. Au fond, ce n’est pas très compliqué. Je m’étais imaginé une situation théologiquement plus complexe, plus difficile à déchiffrer de l’extérieur.

    Mais peu à peu j’ai compris qu’un changement profond était à l’œuvre : accepter que le mariage soit une vocation, à l’image de la vie religieuse, est un grand pas en avant. Cela signifie que l’Eglise reconnaît le sens profond de l’Incarnation, qui a donné valeur spirituelle à ce qui vient du corps, et donc aussi à la sexualité considérée comme un moyen spirituel, que ce soit dans la chasteté ou dans la vie conjugale. L’insistance sur la vraie intention de la foi, sur la préparation au sacrement est également très importante : c’en est fini de l’adhésion de façade, sans un choix en conscience. Le grand précepte de Jésus, selon lequel seule compte l’intention du cœur, entre progressivement dans la vie pratique. Et cela veut dire que nous avançons de façon significative dans la compréhension de sa parole. Dans les milliers de polémiques sur la doctrine ou sur la normativité, rien de tel ne semble exister, mais à y regarder de plus près, le changement est perceptible, et il est sans aucun doute positif. 

    Un peu de catéchisme avant les noces

    Durant les longues heures de débat de l’assemblée, j’ai observé, fascinée, l’élégance des ecclésiastiques : tous « en uniforme », avec leurs soutanes cousues de violet ou de rouge, leurs calottes aux mêmes couleurs, et pour certains leurs chapes élaborées avec de longs fils cousus de boutons colorés. Les Orientaux arborent des coiffes de velours brodées d’or ou d’argent, de hauts chapeaux noirs ou rouges. Le plus élégant de tous porte une longue tunique violette – je découvrirai à la fin qu’il s’agit d’un évêque anglican. Parfois, de loin, un dominicain en tunique blanche est pris pour le pape, qui, démocratiquement, se joint à nous à la pause-café.

    C’est vrai qu’ils viennent de tous les coins du monde, c’est vrai aussi que l’Eglise est catholique ; en général, les évêques des pays anciennement colonisés parlent la langue de l’ancien conquérant : le français, l’anglais, le portugais. Ceux qui viennent d’Europe de l’Est parlent l’italien. Je réalise combien sont nombreux les évêques en Inde et en Afrique. Chacun représente un morceau d’histoire et de réalité, qu’ils parlent de difficultés concrètes ou se contentent de tirades théoriques en faveur de la famille.

    Et je découvre ainsi que les défenseurs les plus rigides de la tradition sont ceux-là mêmes qui vivent dans les pays où la vie est la plus difficile pour les chrétiens, comme les Orientaux, les Slaves ou les Africains. Ceux qui ont connu les persécutions communistes proposent de résister avec la même rigueur et la même intransigeance aux charmes de la modernité ; ceux qui vivent dans des pays tourmentés et sanglants où l’identité chrétienne est menacée pensent que c’est seulement en étant ferme sur les règles que l’on peut défendre la religion contre les menaces dont elle fait l’objet.

    Hormis quelques rares exceptions, qui ont ma préférence, tous parlent un langage autoréférentiel, presque toujours incompréhensible pour qui n’appartient pas au petit cercle du clergé : « affectivité » pour dire « sexualité », « naturel » pour « non modifiable », « sexualité mature », « art de l’accompagnement »… Presque tous sont convaincus qu’il suffit de bons cours de préparation au mariage pour surmonter toutes les difficultés et peut-être aussi un peu de catéchisme avant les noces. 

    Indissolubilité du mariage

    Du monde réel pourtant, surgissent tant de situations diverses et complexes. En particulier la question des mariages mixtes qui se retrouve partout dans le monde. Les problèmes sont multiples et variés, mais il en est un qui surgit dans tous les cas : la religion catholique est la seule à poser l’indissolubilité du mariage. Et donc les pauvres catholiques se retrouvent souvent abandonnés et dans l’impossibilité de se remarier… Combien d’ecclésiastiques défendent avec fierté leurs familles traditionnelles sans penser que dans la majorité des cas il s’agit de situations qui pénalisent les femmes.

    Mais les femmes sont quasi invisibles. Et quand je les évoque, avec force, dans mes interventions, me plaignant de leur absence alors même qu’il s’agit de débattre de la famille, on me trouve « très courageuse ». Me voilà applaudie, remerciée même parfois ; je suis un peu surprise, puis je comprends qu’en parlant clairement je les ai dispensés de le faire.

    Portée par ce flot de sensations contradictoires – entre la colère suscitée par une évidente exclusion et la satisfaction d’être là tout de même – je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il était quand même extraordinaire, de nos jours, de participer à une assemblée qui s’ouvre avec le chant du Veni Creator Spiritus et se clôt sur le Te Deum. Mais c’est précisément pour cette raison que je souffre encore plus de l’exclusion injuste que subissent les femmes d’une réflexion qui, en principe, porte sur le rapport de l’humanité dans son ensemble, et donc des hommes et des femmes, avec Dieu.

    Lucetta Scaraffia

     

    Complément du 7 novembre : lire aussi à ce sujet l'article du Monde des religions.

    Source


    votre commentaire